Publié le 04/03/2020 dans La Séléction
Le changement climatique et le réchauffement de la planète est sans doute la question majeure de notre époque. À Bordeaux, il fait en moyenne 2 degrés Celsius de plus aujourd'hui qu'en 1950, selon Météo-France. Et le réchauffement devrait s'accélérer.
Les scientifiques pensent que les températures moyennes mondiales devraient augmenter de 2 à 5 degrés au cours de ce siècle, si nous continuons sur la voie que nous avons choisie. Suffisamment pour modifier radicalement la vie sur cette planète et bouleverser des écosystèmes entiers. La dernière période glaciaire, au cours de laquelle une grande partie de l'Europe était recouverte de glace, s'est terminée parce que la température a augmenté d'environ 4 degrés.
Les températures plus chaudes, et surtout les conditions météorologiques de plus en plus extrêmes, avec les tempêtes, la grêle, les feux de forêt, les fortes pluies et les tempêtes, sont des préoccupations majeures pour les viticulteurs du monde entier. Les raisins sont délicats et le processus d'élaboration d'un vin constant année après année extrêmement sensible. Comment les viticulteurs de Bordeaux sont-ils touchés par cette situation ? Et quelles sont les perspectives d'avenir ? Découvrons-les ensemble.
Depuis l'an 2000, Bordeaux connaît une concentration sans précédent de "millésimes exceptionnels" et les dernières années, notamment 2015, 2016 et 2018, sont de grandes années pour les vins de Bordeaux. L'année 2019 est également très prometteuse, avec un été très chaud et sec, suivi de températures fraîches et de pluies très rapides dans la plupart des vignobles bordelais. La même tendance positive est observée dans d'autres régions viticoles telles que la Champagne, la Bourgogne, le Barolo en Italie et la Moselle en Allemagne. Cependant, ces jours seront bientôt comptés si les températures continuent à grimper en flèche.
Une conséquence visible directe est la date des vendanges. Elles ont lieu de plus en plus tôt, car les raisins mûrissent plus vite. En Bourgogne, on dispose d'un impressionnant registre des temps de récolte qui remonte jusqu'aux années 1300. Ces registres montrent que les dates de récolte actuelles en Bourgogne sont les plus précoces des 700 dernières années.
Une récolte plus précoce peut parfois être salutaire à la qualité du vin, mais si la maturation est trop rapide, le rapport sucre/acidité dans les baies sera déséquilibré. Les baies seront alors plus sucrées et donneront un vin plus alcoolisé, mais moins structuré, moins acide et moins frais.
Les viticulteurs de Bordeaux sont particulièrement affectés par cela avec le merlot. Le merlot est le cépage le plus largement planté dans la région de Bordeaux et constitue généralement la partie principale de l'assemblage bordelais. Le merlot est un cépage dit précoce, ce qui signifie qu'il mûrit relativement tôt dans la saison des vendanges, comparé par exemple au Cabernet Sauvignon ou au Petit Verdot. Des températures plus élevées font courir aux raisins de merlot le risque de devenir trop mûrs, ce qui signifie que le jus perdra sa fraîcheur et son acidité et sera au contraire submergé par arômes de fruits rouges confiturés.
Les vins de Bordeaux risquent également de perdre leur atout le plus important : les tanins. Les tanins donnent aux vins de Bordeaux leur structure réputée et sont importants pour la longévité du vin. Si la saison de croissance est trop rapide, les raisins auront du mal à développer une peau de raisin plus épaisse et des couleurs plus intenses. Il en résultera un vin avec plus d'arômes primaires (comme les fruits rouges et noirs) et moins de complexité.
Bien qu'il ne soit pas seulement causé par le réchauffement des températures, le taux d'alcool dans les vins est un sujet brûlant à Bordeaux. Les vins qui sortent de Bordeaux sont beaucoup plus alcoolisés qu'il y a quelques décennies. L'emblématique Château Mouton Rothschild du millésime 1948 contenait 10,5 % d'alcool. Aujourd'hui, il n'est pas rare que le taux d'alcool soit de 14-15 %. On vous recommande chaudement l'article de Decanter (anglais) pour approfondir ce sujet.```
Malgré une crise climatique imminente et des conditions météorologiques inquiétantes, tous ceux qui travaillent avec le vin à Bordeaux sont à l'affût de solutions. Parmi les viticulteurs et les producteurs, quelques tendances sont visibles. Nous avons déjà parlé des vendanges précoces et du risque de cueillir des fruits trop mûrs, sans tanin et sans complexité arômatique.
Une autre mesure est une redistribution des cépages sur les parcelles autour de Bordeaux. Le Petit Verdot, moins connu du grand public, est de plus en plus planté. Le Petit Verdot se trouve plus communément dans le Médoc et constitue généralement une petite partie des assemblages. C'est un cépage de taille plutôt réduite, à peau épaisse, à maturation tardive, ce qui lui confère une bonne résistance aux températures plus chaudes et à un ensoleillement accru.
On peut également observer des changements mineurs dans les vignobles au niveau des pratiques de viticulture. Comme l'augmentation de la végétation (feuilles) autour des baies pour les protéger de l'ensoleillement direct. Ou simplement en élevant les raisins plus haut sur le sol pour éviter une partie de la chaleur qui est réfléchie par les cailloux (souvent du gravier) sur le sol.
Le législateur a commencé à modifier les règles strictes qui régissent l'appellation Bordeaux. L'INAO, l'organisme français de réglementation du vin, a approuvé sept nouveaux cépages à utiliser à Bordeaux, en réponse directe au changement climatique. Ces raisins ne peuvent constituer qu'une petite partie de l'assemblage, mais ils constituent néanmoins un pas remarquable dans une nouvelle direction. Voici les nouveaux cépages :
A Bordeaux, une large communauté de scientifiques étudie ce sujet avec attention. À l'ISVV ou l'INRA, l'étude de l'impact du changement climatique sur des cépages spécifiques est un domaine de recherche de plus en plus important. Bordeaux est un des pôle majeur de recherche sur le vin, donc si une solution doit être trouvée, il est probable qu'elle soit ici.
Le changement climatique est, et continuera, d'être un défi pour les viticulteurs du monde entier. Reste à savoir l'impact sur chacun des vignobles. Mais d'après ce que nous savons aujourd'hui, un verre de vin de Bordeaux millésimé 2050 pourrait avoir un aspect très différent de la version actuelle. Les cépages, les techniques de vinification et les caractéristiques de dégustation pourraient avoir évolué pour devenir quelque chose d'entièrement nouveau en 2050.
Il est facile d'imaginer que des cépages plus résistants à la chaleur prendront le relais à Bordeaux. La Syrah, le Grenache et le Mourvèdre peut-être, des cépages qui ont du succès dans les régions chaudes du sud de la France. Ou pourquoi pas le Tempranillo, le cépage espagnol qui se sent chez lui dans les régions super sèches de la Rioja. Ou encore le Nero d'Avola, un raisin rouge puissant qui prospère à la pointe sud de l'Europe, en Sicile, avec une capacité éprouvée à supporter des températures élevées et peu de précipitations.
En tout cas, le changement est en marche et il est difficile de penser que le millésime 2050 se rapprochera de ce qui est produit aujourd'hui. Il faut également s'attendre à de nouveaux changements par rapport aux règles relativement rigides qui sont en place pour l'appellation Bordeaux et les différents AOC. Soit en introduisant et en promouvant davantage de nouveaux cépages, soit en donnant des moyens pour contrer les effets néfastes d'un climat plus chaud sur les cépages actuels, comme l'introduction de l'irrigation (actuellement interdite) pour contrer les fortes sécheresses.
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